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D'arrache-pied
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14 décembre 2005

« Cherche homme. La cinquantaine de préférence,

« Cherche homme. La cinquantaine de préférence, avec des rides près des cils. Profession valorisante, sachant parler anglais. Yeux clairs. Aimant les intérieurs sombres. Aversion pour les chats. Plus d’1m80. Sérieuses références demandées » Elle a collé l’affiche avec le bout de la langue. Les autres, tous les autres, l’ont regardé d’un œil étrange. Elle, elle ne capte pas les regards. Elle palpe le silence. Son appareil auditif a valdingué dans le creux de l’oreille. Le caoutchouc blanc s’échappe parfois. Elle n’y fait plus attention. Le centre commercial dérape sous ses pieds. Alors, elle s’y laisse glisser, doucement, à l’écoute du bourdonnement atone qui aiguise les formes, rends les visages cousus, sans voix. Elle a éradiqué la parole. Elle a éradiqué le son, le verbe et sa glotte. Elle a salopé jusqu’à ses organes les plus tenaces. Elle sourit. Le silence est parfois bruyant. Elle a posé les sacs plastiques sur la table basse. L’odeur de cigarette a envahi ses narines. Le cendrier déborde. Elle ouvre les fenêtres et soudain, surplombe la ville. Elle est impatiente. Elle s’occupe. Elle peint les murs. Elle les badigeonne avec vigueur, sabotant l’attente, comblant le manque. Blanc cassé. Des murs couleurs mouettes. Ça la rassure. - Oui. Elle a répété oui, trois fois. Elle n’y croyait pas. Elle a demandé de patienter. Elle a trouvé le son. Le son était sur le lit, il suffisait de l’attraper. La voix, l’autre, celle qui pointait au bout du fil était grave. Elle n’en saisit pas les contours, mais en devine le grain. -1m80. Elle insiste. Elle ne veut pas se tromper. Elle est exigeante. Sur la taille, la hauteur, la dimension du corps. Elle veut une géométrie parfaite. Elle demande. C’est elle qui choisit après tout. - Hôtel Anatole France. Devant, il y a un parc. Sur la gauche, des amandiers. Ils sont morts en hiver. Mais il reste les branchages. À ce soir. Elle a mis un manteau vert bouteille et des gants désassortis. Elle ne se maquille plus. Elle a passé l’âge de se griffonner en camion volé. Elle n’a plus quinze ans. Elle est grande. Elle fume des cigarettes très fortes en l’attendant. Des gauloises. Le ciel est gris, amoché par des pigeons qui ont du plomb dans l’aile. Elle est en avance. Elle n’a pas peur. Elle a fini le paquet de clopes, elle a mangé le poil rêche de ses gants, elle a joué à touché coulée avec les pigeons. Elle en a tué un dans la bataille. Elle regarde le petit corps sale, blanc de goudron et son mauvais regard, pointé vers elle, qui pisse le sang. Ça ne la fait plus rire. Elle a froid et il n’arrive toujours pas. Il l’a réveillé. Elle s’est endormie sur le banc, la bouche ouverte. Il lui a tapé sur les épaules. Il n’a pas souris. Il s’appelle Christian Mauriac. Il est grand. Elle a répondu que c’était bon. Ça pouvait faire l’affaire. Elle a dit : « Christian, d’accord ». Ils ont traversé la rue. Ils n’ont pas fait attention aux bagnoles qui s’écrasaient dans les klaxons, qui pétardaient dans les embouteillages de vingt heures. Ils n’ont pas regardé la tête rêche du concierge qui leur a tendu les clefs. Ni les draps sales, l’évier et les capotes de passe qui croulent dans la poubelle. Elle s’est assise sur un fil, tout juste les cuisses posées sur le lit. Christian Mauriac regarde ses yeux, assortis au manteau, ses yeux qui caressent la moquette. Ses yeux de folle. Il a sorti les billets, en liasse. Combien ? Elle a répondu qu’elle n’était pas une pute. Qu’elle n’était pas là pour ça. Elle a dit qu’elle entendait mal. Il a dit « très bien ». Il a rangé les billets dans le portefeuille et le portefeuille dans le blouson. Il a frotté les mains. Il a crié. Il lui a demandé son âge. Il lui a demandé si elle était mineure. Il lui a demandé si ça pouvait poser des problèmes. Elle n’a pas voulu éteindre les néons. Elle les a laissés ouverts, à fond, avec une lumière crue. Une lumière jaune. Elle ne veut pas se cacher. Elle veut qu’il voie tout. Il a voulu arracher l’appareil auditif. Elle a refusé. Il s’est battu pour la lumière. Il s’est battu pour le sombre. Il a prétendu qu’il ne pouvait pas. La lumière, l’éclat, ça lui donne trop mal au cœur à Christian Mauriac. Ça lui rappelle qu’il a un gros ventre, distendu, un cul en forme de colite et une masse mousseuse entre les jambes. Ça lui rappelle qu’il est dans un hôtel à catins, devant une petite fille sur le bord du lit. Ça lui rappelle qu’elle porte du lycra noir, un soutien-gorge pour des seins de colibris, ça lui rappelle qu’elle n’entend pas. Ça lui rappelle qu’il est un homme. Il a dû se plier à ses exigences. Il a du parler Anglais. Il a dû faire des efforts, travailler l’accent, contrôler le rythme. Le souffle. Ça ne s’improvise pas. Il a eu la trouille. Il a eu peur de ne pas y arriver, de ne pas distinguer les syllabes, de déraper. Il a dû réciter les verbes irréguliers. À l’envers. Puis en contresens. Il s’est exaspéré devant elle. Il a eu peur de cette mascarade. Elle a tenu bon. Elle est restée ferme. Elle ne veut pas d’argent. Ça ne l’intéresse pas. Une cigarette, elle veut bien. Mais c’est tout. Le reste, Christian peut l’assumer. La chambre d’hôtel. C’est à ses frais. Mais elle en reste là. Elle est polie. Il n’y est pas arrivé. Il a retiré le lycra noir. Il a caressé le poil entre ses cuisses. Il est resté bloqué, accroupi sur le lit, la chemise ouverte sur deux pans de tissus qui ne parvenaient pas à cacher ses couilles. Il l’a retourné. Par derrière, il n’y est pas arrivé. Il a essayé avec sa main, il a essayé de se caresser, il lui a pris la bouche, il lui a mangé la cuisse, le rein, il a cassé son poing sur ses tétons durcis, il a mis sa jambe en acrobatie sur l’épaule, il lui a tendu son cul vers deux dimensions opposées. Mais il n’y est pas arrivé. Elle fume. Elle a remis sa culotte de lycra. Une culotte qui est resté propre. Elle fume doucement. Elle le regarde avec ses yeux de folle. Elle l’étudie. Elle ne dit rien. Christian Mauriac est resté sur le lit. Il allonge son mètre quatre-vingt de chagrin. Avec les cheveux gris, il est encore plus gros. Encore plus grand. Et il chiale, Christian Mauriac, il chiale avec les dents, avec les mains, il chiale dans le grand oreiller blanc, il chiale impuissant. Il a dégluti son Anglais, il a ravalé ses diphtongues, ses « the » comme des locomotives tronquées, il a mangé sa morve, sur ses billets froissés, par liasse, ses jolis papiers, il a pleuré jusqu’à la racine, de l’eau de la tempe grisonnante et puis les sanglots ont coincé au niveau du thorax, gonflé, gorgé de larmes, son énorme thorax couleur cholestérol, il a pleuré. Elle s’est rhabillée. Elle écoute. Elle écoute ses sanglots muets. Christian Mauriac a mis les poings sous son menton. Il a pris entre quatre rides un air de petit garçon. Il cherche un asile, un répit. Il lui demande de s’éloigner, de foutre le camp. Il se sent merdeux, humilié. Il a la trouille. Elle est partie. Elle regarde la nuit. Elle respire le béton. Elle reprend le même chemin. Elle décapite, encore un peu, le pigeon écrabouillé. Ce n’est pas facile, sous le lampadaire. Il flotte des cordes. Ses mains se mouillent et le carton prend la pluie. Elle en a remis un, en pleine nuit. Cette fois, elle élargie le terrain. Finit le centre commercial. En travers d’une vitrine, elle scotche sa petite annonce. Elle sourit. Elle n’a pas hésité. C’est la bataille navale dans son cœur, tout s’entrechoque. Elle a réussi. On abats bien les pigeons, on peut bien étrangler les hommes. Tout contre ses paumes, raidies, la corde. Elle a l’odeur de Christian. Elle s’en parfume. En chape de plomb, le matin est tombé. Dans ses oreilles, c’est blanc. Elle a retiré son appareil. Elle a posé le son. Elle n’en a plus besoin. Elle écoute le silence.
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Commentaires
N
gros connard 0_@
P
Alors non seulement t'es pas morte, mais tu es (donc) plus forte..! J'en reviens pas de te retrouver si... éloquente...
Z
Pour te dire que voilà 7 jours que j'ai découvert cet article. D'abord je l'ai lu. J'ai pas réalisé.<br /> Je l'ai imprimé, je l'ai relu. Je le relis chaque soir avant de m'endormir.<br /> Je me tape la tête contre un mur. Je tombe et je voudrait me tuer parce que ce n'est pas moi qui l'ai écrit, parce que je n'écrirai jamais comme cela, aussi bien. Parce que malgré tout ce que je croyais, je m'éfondre. Parce qu'en fait, je ne sais rien. Je ne sais rien et toi, tu sais. Je ne sais pas ce que tu sais, mais tu le sais si bien que je m'éfondre dans le noir.<br /> <br /> Je sors de tout ce que je sais, j'aimerais décapiter un pigeon, un homme ou je ne sais plus quoi. J'aimerais connaître Christian Mauriac, le voir chialer et m'endormir en suçant mon pouce.<br /> <br /> T'es forte. Très forte. <br /> Me tuer, me déstabiliser. J'pensais pas que c'était possible après ce que j'avais vécu. Mais apparament, tout est toujours possible.<br /> <br /> Alors, je m'en remet à ce que je sais encore faire. Je vais échauffer mes doigts et je vais écrire à ne plus respirer.
P
pauvre Christian Mauriac assoiffé de simplicité. pauvres hommes et pauvres femmes. pauvres rêves dans le creux des coudes, assoupis, languissants pour une caresses.<br /> pauvre pigeon, aussi.
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